Si les plus grosses productions du milieu courent depuis toujours après le lièvre du photo-réalisme, le jeu vidéo a durant ses premières années d'existence compté avec une faculté particulière de l'être humain : celle d'imaginer, d'extrapoler, de combler par le seul fruit de sa pensée les trous béants qui caractérisaient des titres pour le moins rudimentaires. En 2020, quelques nostalgiques semblent résolument décidés à compter de nouveau sur les joueurs pour s'évader.
Les plus abîmés d'entre vous se souviennent peut être d'un titre qui avait avec trois fois rien réussi à créer un genre, éponyme et depuis transformé. Sorti en 1979 sur Atari 2600, Adventure nous plongeait dans un labyrinthe tortueux, au sein lequel il fallait défendre chèrement sa peau pour s'emparer de quelques clés salvatrices pour espérer en voir la sortie.
"It's a tiny piece of paper"
Près de quatre décennies plus tard, c'est presque un hommage que nous propose Rename Studio avec Alt254, qui espère vérifier une nouvelle fois la célèbre maxime "Less is more". Minimaliste, l'aventure l'est assurément : limitée à un cadre de 21 pixels par 26 pixels (!), elle se recentre sur l'essentiel, comme un premier étage d'une pyramide de Maslow vidéoludique. Alt254 n'est pas un jeu orienté pixelart, non : ici, tout se résume à un ou plusieurs pixels, que ce soit votre cubique protagoniste, vos nombreux ennemis, ou les multiples énigmes à résoudre.
Projeté dans ménagement ni fioriture dans cet univers que l'on devine inspiré par la fantasy des débuts, votre première mission consistera à comprendre ce qui vous entoure : si les aplats grisâtres qui vous entourent semblent dessiner les contours d'une forteresse, rien ne viendra vous expliquer les rudiments de gameplay nécessaires à la progression. Alt254 ressemble sur cet aspect au premier Legend of Zelda, puisqu'il faudra tout découvrir, comprendre, relier, au prix d'échecs cinglants, mais toujours riches d'enseignements.
Les Contes de la cryptique
À force de persévérance, les lignes commencent à devenir moins floues : votre pixel noir doit activer des pixels violets (les interrupteurs) pour récolter différentes sortes de pixels dorés (des clés de bronze, d'argent ou d'or) afin d'avancer, tout en évitant des pixels rouges (vos ennemis décidés à vous faire la peau). D'abord un brin cryptique, l'aventure dévoile échec après échec ses charmes, et se permet met un soupçon de mise en scène à travers quelques cut-scenes qui nous donnent une idée de la prochaine destination.
Tout paraît immense, lorsque l'on incarne un simple pixel. Heureusement, quelques points de téléportation viendront fluidifier la progression, qui demande d'effectuer pas mal d'aller-retours, d'autant plus que la finalité de votre quête consiste à récupérer plusieurs dizaines d'artefacts (des pixels blancs, symboles de fragments de mémoire) afin de résoudre un immense puzzle. Ces items étant cachés, ou simplement disséminés un peu partout, il faudra aimer se perdre, et vagabonder un peu au pif pour les récolter. De temps à autre, quelques PNJ (des pixels bleus) viendront vous mettre sur la voie, un coup de pouce utile mais fastidieux, puisque leur fenêtre de texte demande bien trop de temps pour afficher l'intégralité de leur message. Volontairement vagues pour ne pas dire à l'ouest, ces indications rappellent une fois de plus cette aura de mystère qui faisait le charme des premières aventures de Link...
Alt là, qui va là ?
Comme tout bon open world qui se respecte, Alt254 s'attache malgré son aspect on ne peut plus dépouillé à tenter de démarquer les différentes zones de cet univers rectangulaire, à travers des "paysages" aux couleurs tranchées, mais aussi via des ennemis aux patterns reconnaissables, qui leur confère à l'instar des quatre fantômes de Pac-Man une personnalité propre. Entre le roi de l'esquive à la dernière seconde ou le fourbe empoisonné, il faudra parfois observer le moindre détail avant de percuter les sbires adverses de plein fouet. Les jauges d'attaque et de vie profitent d'ailleurs d'upgardes qu'il faudra décrocher à la sueur de son front, mais malgré cette montée en puissance, les sessions d'Alt254 demeurent (trop) brèves, la faute à une difficulté piochée dans les années 1980, mais aussi à des tentatives de perspectives pas franchement réussies.
Heureusement, la world map permet après moult tentatives de comprendre un peu mieux cet univers impitoyable, qui parvient tout de même à opérer un certain charme, certes désuet, mais aussi onirique, grâce à une bande-son un brin répétitive mais bien dans le ton. Pratiqué sur de courtes sessions, l'aventure anachronique de Rename Studio pourra trouver son équilibre, à condition qu'une vilaine mise à jour ne vienne pas écraser vos données... (AAAAAAAAH !)